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Vertige : Liste des dictionnaires consultés et matériaux lexicographiques

Vertige : Liste des dictionnaires consultés et matériaux lexicographiques, 2019. École d’arts plastiques de Denain.

11 éléments imprimés. 60x80cm chacun. Impression en 3 exemplaires.

Cette œuvre se compose d’une suite de textes sur onze pages de grand format divisées en trois colonnes. Cette installation présente sans commentaire et sans illustration une suite chronologique de plusieurs définitions du terme vertige et de sa famille lexicographique (vertigine, vertigineux, vertigo...). Cette suite de définitions est le résultat d’une consultation de plus de deux cent cinquante dictionnaires rédigés en langue française ou pour partie en langue française publiés entre le XVIe et le XXe siècles.

Propos
Note 1.
Pour un esthète, cette œuvre n’est pas de nature artistique. Elle n’est pas formée d’une toile, d’une image ou d’une association d’objets. Elle n’est que l’impression de matériaux lexicographiques en divers blocs de textes distribués chronologiquement exposés au mur. Le texte est imprimé en petits caractères. Cette œuvre ne présente pas d’image. La mise en page de ce texte ne fait pas l’éloge d’un graphisme créatif. Esthétiquement, la longueur des citations est soulignée par une couleur jaune-verdâtre et la dynamique visuelle créée est le résultat de la longueur des citations. Le dispositif d’installation des cadres est linéaire. Il ne s’agit pas d’une œuvre in situ présentant un texte collé aux murs. Le statut d’œuvre d’art de cette proposition est contestable. L’emploi de sobres cadres en verre soulignant les éléments exposés ne constitue pas un critère formel suffisant pour qualifier cette proposition d’œuvre d’art.

Note 2.
D’un point de vue esthétique, cette œuvre reprend les codes d’un affichage didactique. Elle se compose d’une série de grands formats imprimés fixés au mur à hauteur du regard. Elle invite le spectateur à se déplacer de gauche à droite suivant l’exemple d’une frise chronologique. Elle expose un savoir et se propose de diffuser une histoire de la notion de vertige et de notions apparentées. Cet affichage didactique, sans couleur, sans graphisme, organisé en colonne, semble faire écho à une esthétique administrative tel l’affichage d’un réglement intérieur exposé au sein d’un établissement ou d’une entreprise.

Note 3.
Plus précisément, ce dispositif d’accrochage est à rapprocher de l’esthétique des œuvres dites vertigineuses élaborées pour édifier un public. Tel un monument aux morts présentant une liste de patronymes gravés sur plusieurs mètres linéaires ou telle une liste d’un millier de noms en art contemporain (cf. « marabout » de Claude CLOSKY, List of Names de Douglas GORDON...), cette œuvre reprend les caractéristiques d’une œuvre dite vertigineuse.
Premièrement, cette œuvre se compose d’un texte conséquent affiché dans un lieu public sur un plan vertical. Cette mise en forme ou cette mise à plat, impressionnante lorsqu’il s’agit d’un texte de grande ampleur, est inadaptée à une lecture de plusieurs heures. La mise en forme de cette œuvre et son lieu de présentation limitent la lecture de celle-ci. Ce registre déplié dans un lieu d’exposition oblige le spectateur à une lecture partielle. Une lecture debout de plusieurs heures est une épreuve qu’il faut préparer. Autre obstacle : le lieu d’exposition est un lieu public. Ce lieu public présente des horaires d’ouverture et de fermeture. Il n’est pas par conséquent innocent d’afficher un texte imposant dans un lieu public présentant des conditions d’accès. La lecture de la totalité de ce texte à même cet objet et dans ce lieu n’est pas recherchée.
Deuxièmement, le texte composant cette œuvre, comme toute œuvre dite vertigineuse, est une succession d’items. Ces items sont classés par ordre alphabétique ou chronologique. Cette présentation par item permet une lecture fragmentaire et invite à une lecture morcelée. La lecture de la totalité de ce texte est avant tout idéelle. Lorsque les items ne sont pas comptabilisés, le spectateur ne peut que se hasarder à dénombrer ces items. Le lecteur est par conséquent volontairement placé dans une situation inconfortable, voire vertigineuse, puisque le lecteur doit apprécier la quantité des items réunis et le lecteur peut s’en étourdir.
Troisièmement, autre critère d’une œuvre vertigineuse en art contemporain, cette œuvre crée un espace de lecture régit par la mise en forme du texte et la lecture des autres lecteurs. Chaque lecteur s’insère dans une file de lecture et est tributaire d’un rythme de lecture en collectivité. Le lecteur est dans l’obligation de suivre, de s’adapter ou de contourner la lecture d’autrui. Comme toute œuvre vertigineuse s’étendant sur un plan le plus souvent vertical, cette œuvre-inventaire appelle à une lecture partagée et à une communion dans la lecture.
Quatrièmement, une œuvre dite vertigineuse en art contemporain présente des éléments méconnus. Un patronyme renvoie par exemple à une existence le plus souvent insoupçonnée ou oubliée. Dans Vertige : Liste des dictionnaires consultés et matériaux lexicographiques, il est mentionné une suite de définitions méconnues relative à la notion de vertige et empruntées à une multitude de dictionnaires eux-mêmes le plus souvent inconnus. La culture française contemporaine promeut surtout quelques dictionnaires récents. Il s’agit du Larousse, du Robert et du Littré. La perspective qu’il y ait plusieurs dizaines de milliers de dictionnaires différents publiés depuis le XVIe siècle est une pensée moins familière. De ce fait, cette œuvre met en scène des définitions méconnues issues de dictionnaires eux-mêmes le plus souvent inconnus. Par ailleurs, cette œuvre présente aussi un plurilinguisme. Les langues citées dans cette œuvre sont le français, le néerlandais, l’allemand, l’espagnol, l’italien, le latin, l’hébreu et le grec. Cette pluralité de langues peut faire obstable ou impression sur le spectateur.

Note 4.
Cette œuvre développe, sans être exactement une étude en sciences humaines, une recherche inédite sur la notion de vertige et sa famille lexicographique. Cette notion est très présente dans les discours sur les arts contemporains. Si le vertige accompagne aujourd’hui nos sensations, cette œuvre présente une histoire de cette notion. Par cette œuvre, il apparait que le vertige éprouvé face à une œuvre est un concept récent. Il a été construit culturellement.

Note 5.
Le dispositif poétique de cette œuvre débute au moment où notre éventuel vertige rencontre le sujet de ce texte. Cette œuvre nous invite à examiner notre vertige.

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