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k- -a...v...

k—a...v..., 1997. Exposition collective « L’Atelier en Œuvre », Médiathèque Marguerite Yourcenar, Fâches-Thumesnil, 1998.

Texte imprimé sur papier
152 feuilles de dimensions variables, juxtaposées, collées avec de la pâte adhésive sur un mur préparé, formant un ensemble de 164 x 360 cm
Vue d’exposition et détails

Note
Suite à une recherche dans plusieurs dictionnaires et encyclopédies, livre en mains, de tous les mots commençant par « k » ayant comme quatrième lettre un « a » et à quelle que place que ce soit après ce « a » un « v », une arborescence présentant cette recherche et l’insertion des résultats de cette recherche dans un texte ont été réalisées. Cette création aux allures d’arborescence n’est pas le résultat d’une mise en page automatisée. Chaque ligne a été tracée à main levée dans un logiciel de mise en page. Les espaces entre les tracés peuvent ne pas être identiques. Cette création aux allures d’arborescence comporte par ailleurs des lignes ne reliant aucune information.

Texte de Philippe PETIT
in L’Atelier en œuvre [sous la dir. d’Eric AMOUROUX], Fâches-Thumesnil, 1998, p.45-51.

L’épuisette (Eric Plancke).
 
La première résistance du geste poétique, hors duquel il ne vaut rien de plus que l’acte d’allégeance béat et décoratif qu’il se contente si souvent d’être, tient, pour emprunter au vocabulaire d’Artaud, à une exécration. Le reste est affaire de postures, de palettes rhétoriques, mais le fond est là. Cette résistance première, avec laquelle l’illisibilité trouve son espace, cette résistance qui voue l’écriture à se dresser d’abord en monolithe qui garde ses distances, réfute les langues tribales, et dévalue le « numéraire facile » dont parlait Mallarmé, le mur de papier d’Éric Plancke, énigmatiquement titré K—A... V..., le relaie presque littéralement.
 
Devant cette proposition pour le moins radicale, et qui intègre courageusement les décisives leçons d’un échec liminaire, la conversion de la première réaction de recul (au mieux inquiète, au pire effrayée) en mouvement de repli stratégique constitue l’une des solutions pour éviter la pure et simple fuite. Ce retrait, envisagé comme l’effort pour répondre à sa hauteur à la violence d’un objet qui semble se dérober à toute prise, pourrait ainsi consister dans le détour par une double fiction : d’une part, celle d’un plasticien qui serait tombé dans la mare poétique ; d’autre part, celle — qui en constitue l’exacte et réversible doublure — d’un poète qui serait tombé dans l’ornière de ces arts vite dits beaux.
 
Autant dire que du point de vue de la démarche, seule une exigence de commodité et de simplification peut motiver le choix tactique de ne pas suivre simultanément les deux pistes ouvertes par ces histoires stratifiées, et articulées comme les mâchoires jumelles d’un même piège. Aussi conviendra-t-il d’envisager — à chaque étape, autant que sur l’ensemble du parcours — la nécessité, pesante comme une menace, de rabattre sur les arts plastiques les remarques risquées ici, pour l’essentiel, du point de vue de la question poésie.
 
Ce choix forcé, qui pose l’analyse sur de bien tremblantes fondations, il va de soi qu’il participe déjà du progranime agressif et déstabilisant qui axe K—A... V..., dont la simple organisation dans l’espace dit assez le caractère miné. Son arborescence, en effet, trois figures métaphoriques pourraient, sans la réduire pourtant, ni en bloquer le déploiement, la reprendre pour en suggérer rapidement les dangers et inviter qui s’en approche à se méfier : celle du labyrinthe d’abord, mais alors du labyrinthe de laboratoire dans lequel, sous l’œil omniscient des testeurs, errent des rats confrontés au stress des impasses et des solutions illusoires toujours soumises à un double-bind harassant (pile je gagne, face tu perds ; ce qui s’ouvre se ferme ; ce qui se déploie — les feuilles de K—A... V... — se replie). Celle de la toile d’araignée ensuite, site rigoureusement tissé (du latin textere, qui a donné le mot qu’on sait) de l’attente vigilante, exactement proportionné à la proie recherchée. Celle, enfin, version active de la précédente, de l’épuisette, ou du filet à papillons, mais plutôt de l’épuisette pour ce qui, à la chasse et à la capture, s’y ajoute, dans l’ouïe, d’un enjeu d’épuisement.
 
Ce triple piège, verticalisé, ordonne donc le lieu où Éric Plancke projette la poésie, c’est-à-dire en entretient le projet toujours différé (à la fln, indécidablement, elle n’advient peut-être jamais dans K—A... V..., qui s’applique à la suspendre, comme le « rasage gratis » de Gautier, dans un demain perpétuel), et en propose la projection, d’ailleurs moins comme une image filmique que comme une mouche dans la toile, ou le chaton indésirable sur un mur (par où se lèverait au passage une sombre, mais judicieuse et ironique, définition de la poésie comme petite bête violemment euthanasiée). De telle sorte que puisse s’organiser, par la traversée des postures poétiques et de leur capital épuisant, l’incessant va-et-vient, troublé de reflets, de la poésie au mur au mur de poésie. Car c’est bien cela que propose dès l’abord K—A... V... : une mise au mur, comme on dirait au pilori, ou en croix, de la poésie.
 
La description de ce qui fait ce mur particulier, on aurait bien envie de la sauter, comme certains sautent — elles seraient faites pour ça — les descriptions dans les livres de Balzac. C’est que sa structure tentaculaire ouvre au risque calculé de voir le commentaire s’abîmer, à bout de souffle, dans la restitution, qui guette, avide. Pourtant, puisqu’il le faut, disons donc de ce mur qu’il se compose de quelque deux cents feuilles imprimées sur un papier blanc mat, dont le format varie selon les précis découpages qui articulent au millimètre près l’arborescence ; que ces feuilles sont appliquées minutieusement sur un mur parfaitement lisse afin d’éviter chevauchements, espacements et gondolements ; et que sur ce support singulier, fragile mais précis comme la toile d’une épeire, sont uniformément typographiées quatre listes, dont les premiers éléments sont précisément alignés à un mètre soixante-quinze afin de maintenir l’intégrité de l’arborescence : une première liste regroupant les références bibliographiques d’ouvrages usuels disponibles à la bibliothèque de Valenciennes, dans laquelle une deuxième liste puise les mots et expressions (noms d’auteurs, de villes, de régions, de personnages de romans, titres de revues, etc.) ayant pour première lettre un k et pour quatrième lettre un a suivi, à n’importe quelle distance littérale, d’un v. Une troisième liste énumérant tous les ouvrages publiés sous le nom d’un auteur présent dans la liste précédente et figurant dans l’édition de 1912 du catalogue raisonné de la bibliothèque nationale (dont la côte est d’ailleurs reprise) ; une quatrième liste enfin replaçant tous les mots ou expressions de la deuxième liste dans une phrase provenant d’une pièce antérieure titrée Mettre un Cou Vair, et dans laquelle s’origine la suite littérale K—A... V... obtenue par superposition des noms de deux personnages, l’un emprunté à Guerre et Paix de Tolstoï — Karataïev —, l’autre — Kovaliov — à un récit fantastique de Gogol, consacré à l’idéal artistique trahi et aux sortilèges de la peinture, Le Portrait.
 
Il y aurait probablement davantage à décrire, mais contentons-nous de cela, qui nous laisse encore une issue, fût-ce vers un autre piège, et suffira pour nous pencher sur la portée, une fois encore non bloquée, de ce geste. À l’évidence, la dynamique d’occupation de l’espace qui le fonde affronte, dans une tradition qui va de la partition savamment émiettée du Coup de Dés de Mallarmé au grand Graphe d’Hubert Lucot, la pesante contrainte de la page comme limite scripturale. Plus proche certainement de ce que l’on trouve justement chez Mallanné et Lucot, ou même, en miniature, chez Balzac quand il décide d’inscrire dans les limites d’un triangle pointe en bas le texte d’une formule magique vouée à l’effacement (La Peau de Chagrin), c’est-à-dire plus proche de l’auto-représentation d’un fonctionnement que de son cousin le calligramme figuratif — les carmina figurata alexandrins du moyen-âge dont s’inspirent par exemple la Dive Bouteille de Rabelais (Cinquième Livre, XLIV) et certains poèmes d’Apollinaire — avec lequel il flirte pourtant (labyrinthe, toile d’araignée, épuisette), l’étalement du tracé se devait dans cette perspective d’être imprimé sur un grand nombre de pages, de façon à attester du dépassement du feuilletage, et non sur une seule, dont la taille n’aurait introduit qu’une variante d’échelle, et aucune dialectisation des limites.
 
Ce dispositif, son entrelacement serré, prend évidemment l’écriture à la gorge, et la strangule, de telle sorte que sa mise au mur relève, nous l’avons dit, d’un sacrifice. Lisible comme suite de lettres, elle tend en effet, à cause des dimensions du support et du recul qu’elles imposent, vers les écritures feintes, dont on sait qu’elles incarnent un vertige très ancien, qui court du graffiti d’Éléphantine (c. 1200-1100) aux ornementations de Sedon ou Paillasson, des Geheimschriftbild et Abstrakte Schrift de Klee aux contre-écritures de Max Ernst ou Roland Barthes, des logogrammes de Dotremont aux simulations de Peignot, de l’écriture martienne de Mlle Smith aux alphabets d’ouvertitude et de fermotitude de Francis Palanque... La pression de la doublure, la vibration de la surface qu’elle électrise se fait bien sentir là : dans le glissement aller-retour vers l’image. Car K—A... V... affiche alors, et en très grand, l’ironie d’un rien à lire, d’une expérience glossolalique, d’un volume de signes amputés relevant, dans l’ordre de l’écrit, de ce que la scolastique aurait classé, dans l’ordre de l’oral, sous la rubrique de la vox non significativa, la voix qui ne représente rien. Sinon elle-même, conviendrait-il d’ajouter. Bref, ici, mais pour un temps seulement : du visible, pas de l’intelligible.
 
Verticalisé, surdimensionné, l’espace d’écriture glisse ainsi inéluctablement vers celui de la peinture ou du dessin, ce que confirment, d’une part, les précises exigences de l’artiste concernant la monstration de K—A... V... (en particulier le choix d’un papier blanc qui doit permettre, compte tenu des conditions d’éclairage et de la couleur du mur d’accrochage, de percevoir, dans une saisie d’ensemble de la proposition, « une tonalité gris-bleu-froid »), d’autre part sa volonté de frotter la poésie à un corps qui ne soit plus le corps glorieux, métaphorique ou sublimé du discours poétique, mais bien celui, littéralement physique, de l’homme envisagé comme poids et mesure (Éric Plancke évoque d’ailleurs à ce propos « l’unité de mesure anthropomorphique, physique » à l’œuvre dans K—A... V...). Du coup, traînées orthogonales et macules lexicales vaudraient presque pour traces d’un dripping rationalisé, d’une danse d’indien (Hubert Damisch) lettré. C’est-à-dire, à l’extrême : pour délinéation précise de l’ombre portée du corps de l’écrit démembré (projeté) par le surgissement en son sein d’un corps de chair et d’os. Car même en mouvement vers les figures, K—A... V... reste, doublure pour doublure, un site accueillant pour l’écrit, pour les représentations de représentations que véhiculent les listes et les parcours qu’elles balisent.
 
On se rapproche alors, une fois encore. Une fois encore, ce n’est plus une peinture, ce n’est plus un dessin. Ou alors faits de mots. C’est le poème épinglé mort sur une paroi, en papillon de collection. « Poésie, c’est crevé » donc, comme on disait jadis, mais les ailes peuvent encore rutiler. En haïku matiériste ? En vers enfin sur le mur, seul digne d’accueillir ces poèmes « qui ne dépassent pas le niveau lyrique de la publicité pharmaceutique » (Péret) ? Qui sait ? C’est qu’il faudrait d’abord, en amont, répondre à une autre salve de questions (Que fait briller la coupe ? Qu’attrape le filet d’Éric Plancke ? Ou plutôt son épuisette ?), c’est-à-dire remonter vers la nature du geste de sélection qui préside au peuplement de K—A...V...
 
A l’évidence, c’est la langue-matière, ce point aveugle où se fascine la littérature, qui a retenu le clerc appliqué, et fort logiquement friand de calembours, à l’entrelacement de ces listes. Le corpus sélectionné, arbitrairement découpé dans la bibliothèque, il ne l’a probablement évalué qu’à l’aune des promesses de platitude qu’il comportait, et l’a soumis ensuite à la coupe réglée de ses contraintes de prélèvements. Articulant, pour aller vite, le cut-up (avec une lame plus proche de celle du Denis Roche des Dépôts de Savoirs et Techniques que de celles de Gysin ou de Burroughs) et les stratégies oulipiennnes de réseaux potentialisés (la poésie en définition, et non en extension, comme dit la linguistique, des Cent Mille Milliards de Poèmes — 1014 — de Queneau, par exemple), il ouvre une vanne par où s’écoule un flot affolé d’énoncés qui n’importent que pour autant qu’ils opacifient le mur et signent « la reconnaissance empirique de la réalité comme leurre [et] le refus de s’y laisser aliéner » (Christian Prigent, à propos du cut-up, « décision philosophique beaucoup plus que choix rhétorique »).
 
Pourtant, malgré le déplacement radical de la poésie vers un enjeu, non négligeable, de stricte masse scripturale, l’effort de capture demeure paradoxalement d’une terrible minutie, d’une exigence de clerc, proprement, destinée à bloquer le geste d’écriture (aucun moteur de recherche informatique n’a en effet réalisé le travail, les prélèvements de Plancke sont faits de main d’homme, et son improbable poésie est encore chiropoétique) dans une crispation épuisante. Car il y a au cœur de sa démonstration négative, sur le versant de la lecture comme sur celui de l’écriture, une application déterminée à retourner le tranchant de sa lame (à cut-up) contre lui-même, à scier la branche sur laquelle il s’assied, à fabriquer, dans des excès de rationalité qui viennent caresser les limites d’une folie — celle par exemple, parce que toute nourrie de paroles, des Furieux de la tragédie latine —, l’outil poétique le plus « adéquatement inadéquat » (Hôlderlin). Le mieux à même de répondre, dans ce cadre, au programme de Beckett : « encore mieux plus mal dire ».
 
L’épuisette, comme titre tourné vers celui d’un texte (L’Epuisé) que Deleuze consacra justement à l’auteur de Cap au Pire, marque l’entremêlement indébrouillable du filet et de l’enjeu d’épuisement qu’il implique. Non seulement donc, évoqué à l’instant, celui auquel se voue, délibérément, et dans une réalisation honnête et cohérente, l’auteur de K—A... V... Mais aussi celui qui compresse la poésie, et — pour reprendre, légèrement déplacée, l’image d’un geste violent déjà utilisée tout à l’heure — la vide par éclatement, comme on vide un poisson. Toute la démarche tient en effet dans cette vrille harassante dont on pourrait décliner les nuances sous forme de listes presque steiniennes : dans ce qu’incarne en surface le battement incessant de la pièce, de l’écriture aux arts plastiques à l’écriture aux arts plastiques... ; dans le jeu d’effacement réciproque avec lequel la poésie annule la figure et la figure la poésie, chacune n’étant pour l’autre, rien de plus, qu’une émergence qui la dérobe ; dans l’écrasement du synchrone (le « texte ») par le diachrone (l’« image ») par le synchrone par le diachrone... ; dans l’implosion, toujours par épuisement, des discours épuisés, et l’éparpillement de leurs éclats, coupés, déchirés, saucissonnés, qui place au même niveau un mot, une lettre, voire, comme chez Cummings, un signe de ponctuation, c’est-à-dire, à la fln, dans une défiguration (l’arborescence) de la défiguration (la segmentation qui prélève).
 
Tout cela, bien entendu, appuyé sur une rhétorique générale de l’insistance, fonde à l’évidence un espace qui ne s epuise qu’à enchaîner scrupuleusement les déceptions, ces autres cibles que visent les flèches de K—A... V... Nous l’avons déjà dit, la poésie — et il faudrait, une fois encore, tenir ici, dans le même temps, un discours exactement symétrique au sujet de l’image qui la double — n’advient en effet que comme effet d’annonce : elle arrive, elle arrive, semble clamer bien haut la pièce, — mais elle ne vient jamais de s’épuiser en route, dans cette clameur. Pour Éric Plancke, elle n’est, la poésie, dans un perpétuel mouvement de retrait, qu’une intention. Et qu’une attente infiniment déçue pour l’impossible lecteur.
 
D’ailleurs, sur la même ligne épuisante, K—A... V... se donne aussi, en tant que proposition réduite à un geste de projection du corps poétique sur le mur, pour explication de texte, mais alors simplement, sans au-delà, au sens premier de dépliage (ex-plicatio). Dans l’enchaînement inéluctable d’impasses structuré par ce dispositif, aucune valeur de détail ne peut ainsi tenir face à la force écrasante de la décision (de masse) qui incarne seule la poésie et en concentre toute l’énergie. Manière certainement de donner congé, sait-on jamais, à tout ce que la poésie peut supposer de lunaire, de raffinements jolis-jolis, et de renvoyer aux supermarchés d’où elles n’auraient jamais dû sortir les brumes pathétiquement minimalistes, gnan-gnan boy-scouts, très en vogue de nouveau. Contre ça, Éric Plancke, qui ne fait, proprement, pas de détails, dresse l’enceinte épaisse de sa tentative objectiviste joyeusement avortée (puisque chez lui la concaténation prélèvement/mise en vers décrite par Roubaud à propos de Resnikoff tombe aussitôt qu’elle monte).
 
De l’explication définitivement enkystée dans un geste évidé de strict dépliage à l’énoncé occulté, épuisé par la masse, tout concourt donc, on y revient, à faire de K—A... V... un totem aplati dédié à la puissance et aux vertus de l’illisible, totem au pied duquel se sacrifie la transparence. Car il n’y a rien derrière, — ni profondeur, ni intériorité, ni représentation du monde. Ce mur de poésie, où « les mots alignent des formes » (Zukofsky) et les formes des mots, demeure obstinément opaque, qui n’appartient à rien et se sauve d’être sans genre, c’est-à-dire de ne laisser prise ni au discours sur la poésie ni à celui sur les arts plastiques, qui se savonnent mutuellement.
 
Au bout de cette intraitable stratégie de l’évitement, avec laquelle la proposition se dérobe en permanence par effacements internes et débordements externes vers des satellites dont il aurait fallu parler, il n’y a rien. Ce constat, quelque peu déprimé, cerne le seul moment où l’écriture et la peinture coexistent : celui de leur effondrement symétrique. Œuvre sans point de vue tenable, sans restitution possible, sans assignation perspective (nous en sommes toujours trop près en même temps que trop loin), elle rejoint ainsi, à la fin, la déception épuisée de Frenhofer, le peintre exemplaire du Chef-d’Œuvre Inconnu de Balzac, devant sa « muraille de peinture » : y a-t-il quelque chose là-dessous, sous ce bloc qui lève la bonde et vide le sens ? Le montage en boucle, délirant, d’un va-et-vient perpétuel du champ scriptural au champ pictural, indexé sur le théorème d’insuffisance de Gödel, qui veut qu’aucun système ne peut expliquer ou démontrer sa cohérence sans recourir à des concepts que ce système est incapable d’engendrer lui-même et qu’il doit emprunter à l’extérieur, à un système plus large, incluant ses propres insuffisances qu’il ne peut expliquer sans emprunter lui-même à un système plus large, — et ainsi de suite à l’infini ? Ou encore une expérience critique de la poésie menée avec les outils renouvelés de l’art, et vice-versa ? Ou bien, vraiment, n’y a-t-il « rien, rien » (Balzac) ?
 
À tout prendre, ses excès (de densité, de circulations, d’épuisements) confèrent à ce mur de papier la puissance d’un trou noir : il gobe toute la matière (poétique) avoisinante, et, avec elle, le dessin, la peinture, le spectateur, et le spectacle. Rien à voir serait ainsi son dernier mot, où résonnerait un rien à lire tout aussi patiemment construit. Par où, alors, K—A... V... se montrerait, on y revient, pour ce qu’il est : un « calme bloc ici bas chu d’un désastre obscur » (Mallarmé).
 
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